Par Bernardin SEBAHIRE
Chercheur au CERPRU/ISDR-Bukavu
Les actes de violences enregistrés en RD Congo au mois de juillet 2022 est une illustration éloquente des frustrations accumulées par les populations congolaises de l’Est les deux dernières décennies. En effet, le 25 juillet 2022, les populations des villes de Goma, Butembo et Uvira ont organisé des manifestations hostiles à la Mission des nations unies pour la stabilisation du Congo.
Ces violences interviennent dans un contexte sociopolitique difficile. Sur le plan politique, le pouvoir envisage l’organisation des élections présidentielles pour l’année 2023. Côté social, le taux de chômage des jeunes ne fait qu’augmenter ; les grèves des fonctionnaires de l’Etat sont devenues fréquentes ; les infrastructures routières sont dans un état de délabrement avancé ; les prix sur le marché augmentent tous les jours faute d’une production locale suffisante. L’insécurité persiste dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu malgré l’état d’urgence décrété par le président de la République.
Face à ce tableau peu reluisant, la population congolaise s’est exprimée à la fin du mois de juillet 2022 en attaquant les installations et le personnel civil de la Monusco. Les médias ont différemment commenté cet événement : « Le mouvement de contestation contre la présence de la MONUSCO en RDC prend de l’ampleur, après le décès de 15 personnes dont 3 casques bleus à Goma et Butembo dans le Nord Kivu le 26 juillet. Quatre manifestants sont morts ce mercredi 27 juillet à Uvira, la deuxième ville du Sud-Kivu. La tension est à son comble entre les Casques bleus de la Monusco (Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo) et les civils du Nord-Kivu. La semaine dernière, des manifestations pour réclamer le départ des Nations unies se déroulaient dans plusieurs villes de l’est de la RDC dont Goma, Butembo, Beni et Nyamilima. Des installations de la Monusco sur place ont été prises pour cibles. Trente-six personnes, dont quatre Casques bleus, ont été tuées dans des affrontements entre les deux parties ».
Un livre sur les relations entre la population et la Monusco
L’écrivain congolais Bienvenu N. Karhakubwa, dans son livre intitulé RDC, construction de la paix et le rôle de la Monusco, ouvrage paru chez l’Harmattan en 2021, écrivait ce qui suit : « Primo, la population congolaise est quelquefois agressive à l’égard de la MONUSCO par ignorance de la mission, du modus operandi ou du mandat de la MONUSCO en tant qu’opération de maintien de la paix de l’ONU.
Secundo, la population congolaise est quelquefois agressive à l’égard de la MONUSCO à cause de l’absence d’un plan ou d’une architecture de paix en RDC. À cet effet, le livre ouvre une réflexion en proposant un modèle d’architecture de la construction de la paix durable en RDC.
Tertio, la population congolaise est quelquefois agressive à l’égard de cette Mission de l’ONU à cause de la faible appréciation de son travail par la population locale, au regard des attentes locales de paix et sécurité, mais aussi corrélativement aux moyens humains et financiers que reçoit la MONUSCO.
Quarto, la population congolaise est quelquefois agressive à l’égard de la MONUSCO à cause de ses revers en tant que mission d’opérations de maintien de la paix de l’ONU.
À cet effet, cinq revers sont identifiés et documentés dans ce livre. Il s’agit tout d’abord de l’implantation idéologique de l’Islam dans la région (l’examen de la question est plus technique qu’idéologique); ensuite le phénomène Enfants de la MONUSCO, nés de Casques bleus avec des filles et femmes congolaises ; puis l’implication de certains agents Casques bleus de la Mission dans la contrebande minière ; aussi l’entretien de groupes armés par certains agents et Casques bleus de la MONUSCO et enfin le traitement disproportionné des agents Congolais travaillant pour la MONUSCO. Il s’y ouvre une réflexion sur les stratégies correctionnelles de ces différents revers ».
Ce livre s’étend sur trois chapitres, à savoir : les fondamentaux de la construction de la paix et des missions de maintien de la paix de l’ONU, le travail de la MONUSCO (tel que perçu par la population locale) et enfin les revers de la MONUSCO (en tant que mission de maintien de la paix de l’ONU).
Si les autorités congolaises considéraient à justes valeurs les résultats et orientations des recherches menées dans différents secteurs, comme cela se fait ailleurs, la RDC ne serait pas en train de s’engouffrer chaque jour qui passe et être la risée de tous.
Ainsi, ce livre analyse la problématique de l’agressivité de la population congolaise à l’égard de la MONUSCO et en dégage les facteurs à la base, à travers l’explication des fondamentaux de la construction de la paix et des missions de maintien de la paix ; l’élaboration d’un modèle d’une architecture de la construction de la paix durable en RDC ( un outil type pouvant bien inspirer la stratégie nationale de la Justice transitionnelle en RDC) ; des échanges sur le travail de la MONUSCO c’est-à-dire sur les activités que cette Mission réalise dans le milieu ; enfin l’analyse et la documentation des revers de la MONUSCO qui certes entachent sa crédibilité auprès de la population locale.
Le plan de retrait de la MONUSCO agréé par le gouvernement
A propos de l’objet qui a été à l’origine de ces manifestations, à savoir le départ de la MONUSCO, Khassim Diagne rappelle que le processus du départ de la Mission de la RDC a été discuté et le plan du retrait a même été agréé par le gouvernement congolais.
« Je pense qu’il y a trois points essentiels. Le premier c’est rassurer la population, nos partenaires que nous sommes sur le départ. Pour ça, nous avons un plan concret de départ agréé avec les autorités. Deuxièmement, ne jouons pas le jeu de l’ennemi. C’est une distraction qui peut coûter très cher. Et troisièmement, la violence n’est pas la solution », a rappelé Khassim Diagne.
Le Gouvernement congolais, pour sa part, dit souhaiter une meilleure collaboration avec la MONUSCO. C’est l’une des leçons qu’il faut retirer de ces manifestations à en croire son porte-parole, Patrick Muyaya. « La première leçon à tirer, je crois qu’il faut qu’on améliore sensiblement que ce soit sur le terrain politique, opérationnelle ou de la communication, ce qu’il faut améliorer sensiblement la collaboration avec la MONUSCO. Parce que tout est parti des propos qui ont été dits et qui n’ont pas été bien perçus ni par les militaires, ni par nous, ni par la population. Et il y a eu cette réaction. La deuxième conséquence qu’il faut tirer, ce qu’il ne faut pas recourir à la violence. Lorsque vous recourez à la violence, vous risque même de perdre la cause principale », a recommandé Patrick Muyaya.