Par Bernardin SEBAHIRE Chercheur / ISDR/Bukavu
La République Démocratique du Congo est l’un des rares pays du monde incapable de préciser le nombre exact de sa population. Les chiffres avancés par l’administration varient de 80 à 100 millions d’habitants, mais ils ne correspondent qu’à une vague estimation.
En effet, une grande partie des archives de l’état civil ont été détruites par les exactions des guerres civiles émaillant l’histoire du pays depuis son indépendance en 1960. De plus, en raison du manque d’information de la population, le phénomène des naissances non déclarées va en s’aggravant. Dans certaines provinces, le pourcentage d’enfants âgés de moins de 10 ans non inscrits sur les registres d’état civil atteindrait jusqu’à 90 %.
Numérisation de l’enregistrement des faits d’état civil et de l’établissement des statistiques de l’état civil : vers la mise en place d’outils des technologies de l’information et de la communication pour l’enregistrement des faits d’état civil en Afrique
Les technologies de l’information et de la communication recèlent des possibilités pour transformer et améliorer les systèmes d’enregistrement des faits d’état civil et d’établissement des statistiques de l’état civil (CRVS) et permettre d’en élargir la couverture, d’uniformiser et de rationaliser les processus, de regrouper les données provenant de plusieurs systèmes et de stocker les données à grande échelle et en toute sécurité, et tout de façon économique. Bien utilisées, elles peuvent apporter une contribution significative à la réalisation de l’enregistrement universel des faits d’état civil, à la mise à disposition de la documentation légale nécessaire pour faire valoir l’identité, l’état civil et les droits qui en découlent et à la production de statistiques exactes, complètes et actualisées sur les faits d’état civil.
Malgré les progrès observés dans certains pays africains dans ce secteur, la RD Congo continue à faire piètre figure. Les enregistrements continuent à s’effectuer manuellement à partir d’un cahier-registre. Dans la province du Sud-Kivu, à Bukavu, en commune de Kadutu, la femme préposée à l’Etat civil révèle ce qui suit : « Sur 10 naissances, 8 naissances sont déclarées dans le délai, soit avant 90 jours ; cela grâce à la sensibilisation menée par la commune auprès de ménages. Mais, le service d’état civil ne dispose d’aucun logiciel pour la numérisation des enregistrements. La commune de Kadutu, l’une des plus peuplées de la ville de Bukavu, compte plus de 450 mille habitants dont 285 mille jeunes ». La préposée de l’état civil se rappelle qu’il y a 2o ans qu’elle a bénéficié d’une formation en informatique et cela grâce à une organisation non gouvernementale de défense des droits humains. Par jour, le bureau de l’état civil de la commune enregistre une moyenne de 10 déclarations de naissances.
La numérisation de l’enregistrement des naissances a fait gagner des points dans un certain nombre de pays. En Namibie, où l’enregistrement des naissances est proche de 80%, la numérisation est bien avancée. Le Mozambique a accompli des progrès notables en digitalisant les services d’enregistrement aux niveaux décentralisés.
Pourtant, l’Afrique est confrontée à d’importantes fractures numériques et très peu d’habitants ont accès aux services digitaux, notamment l’enregistrement civil. Dans la plupart des pays, le système repose sur une combinaison entre des processus papiers et numériques, avec pour objectif stratégique de passer à des données numérisées. Pour relever ces défis existants ou émergents, l’Union africaine a adopté en 2020 la Stratégie de Transformation Digitale 2020-2030, affirmant le rôle des technologies digitales et de l’innovation dans la réalisation de la vision et des objectifs de l’Agenda 2063 de l’Union africaine et des Objectifs de développement durable des Nations unies.
« Nous devons changer nos systèmes, et nous sommes engagés à avancer vers des solutions digitales, sûres et accessibles. En numérisant les systèmes d’enregistrement civils et en centralisant les données sous la forme d’une identité légale, nous pouvons mieux coordonner les services, ce qui est particulièrement important pour les enfants des zones reculées ou affectés par des conflits ou catastrophes, quand ils passent les frontières », a déclaré le Pr Harrison Victor, Commissaire aux Affaires économiques de l’Union africaine. « Le lancement de cette campagne “Mon nom est personne” fera progresser les actions étroitement imbriquées en faveur de l’accès à la justice des mineurs, en partant de la question éminemment vitale de l’enregistrement des naissances, et elle assurera également que ces activités importantes sont hébergées sur des plateformes digitales. C’est une synergie gagnant-gagnant », conclut-il.
Malgré ces progrès prometteurs, Marie-Pierre Poirier, Directrice régionale de l’UNICEF pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, estime que des mesures plus ambitieuses doivent être prises pour atteindre la couverture universelle en 2030. « Nous avons vu le potentiel qu’il y a à lier l’enregistrement des naissances aux plateformes de santé, mais on peut faire bien plus.
En République Démocratique du Congo, environ 80 pour cent des naissances se produisent dans des centres de santé, or seuls 38 pour cent des enfants sont enregistrés à leur naissance.