Par Bernardin Sebahire
Chercheur
La Constitution de la RDC a opté clairement pour la décentralisation comme mode de gestion des affaires publiques et locales. Ce choix stratégique reconnaît aux Provinces et aux Entités Territoriales Décentralisées (ETD), la responsabilité de planifier leur développement et de prendre en charge le développement socio-économique de leurs collectivités.
Alors que les territoires, les quartiers, les groupements et les villages sont considérés comme des Entités Territoriales Déconcentrées ; Les provinces, les villes, les communes, les chefferies et les secteurs sont, par contre, désignées comme des Entités Territoriales Décentralisées (ETD). La planification provinciale et locale est donc particulièrement importante dans un contexte de décentralisation où les élus locaux sont responsabilisés pour le développement de leurs entités territoriales.
En effet, en tant que système d’organisation administrative et territoriale, la décentralisation implique la participation des collectivités locales à la gestion de la chose publique et rapproche ipso facto l’administration de l’administré en même temps qu’elle favorise l’émergence d’un Etat démocratique.
Le processus de décentralisation mis en œuvre en RDC conformément à la Constitution de la 3ème République, donne à cette Nation congolaise et à toutes les provinces une chance unique de développement communautaire à partir de la base. En effet, les Provinces et les Entités Territoriales Décentralisées (ETD) jouissent de la personnalité juridique (Cf. Article 3 de la Constitution) qui leur accorde la libre administration et une autonomie de gestion dans leurs entités respectives. Elles peuvent et doivent donc s’organiser librement en vue d’améliorer les conditions de vie des communautés à la base.
Ceci signifie que chaque citoyen participe à la gestion et au travail de reconstruction de sa communauté de manière responsable. Par son travail individuel ou associatif, il contribue à l’amélioration des conditions de vie de tous, en payant ses impôts et ses taxes. Ceux-ci ont toujours des objectifs sociaux, économiques et politiques clairs.
Décentralisation : quel bilan ?
Une dizaine d’années après la mise en œuvre de la décentralisation en RDC, la délégation de la prise de décision du centre vers la périphérie pose problème. Les animateurs des ETD continuent à exercer le pouvoir en solo faute d’élus par les organes délibérants des ETD. L’application des lois relatives au processus de décentralisation reste mitigée. La gestion des animateurs des entités n’est que rarement contrôlée. L’organisation des élections urbaines, municipales et locales instituées par la Constitution du 18 février 2006 et dans les lois organiques y relatives n’ont jamais eu lieu jusqu’à ce jour.
Localement, les ressources fiscales locales sont très maigres et les habitants souvent peu enclins à payer des impôts dont ils ne voient pas toujours l’utilisation. Le manque de formation des autorités locales, notamment dans les zones rurales où le niveau d’éducation est faible, pour établir et mettre des plans de développement est un autre obstacle de taille. La corruption et les détournements de fonds sont aussi fréquents. Même maigres, les ressources des entités rurales sont tentantes.
La plupart des collectivités locales sont encore très loin de pouvoir améliorer la vie de leurs administrés et de favoriser le développement rural.
Les ressources destinées aux ETD en guise de rétrocession pour la réalisation des projets d’investissements sont pour la plupart des cas détournés à d’autres fins. Des conflits permanents opposent l’autorité de tutelle et les animateurs des ETD au sujet de la gestion des fonds rétrocédés à l’Entité.
L’approche actuel de développement s’oppose, en effet, contre ce que les théoriciens ont toujours qualifié de « développement cadeau » ; qui est un développement subi, passif, sans effet d’entrainement, ni durabilité en ce sens qu’il obstrue les efforts communautaires d’autopromotion. « Théoriciens et praticiens du développement formulent généralement l’hypothèse que la participation des populations aux projets les concernant est garante de leur réussite » (Yao Assogba, 2008 : 16). Ce sont les individus ou citoyens réunis et soucieux du bien-être collectifs dans la même vision sous un caractère participatif et d’abnégation qui, sans ou avec une impulsion extérieure, définissent la voie qu’ils jugent la meilleure pour leur développement.
Dans les milieux ruraux du Sud-Kivu, et partout ailleurs en RDC, le changement des modes traditionnels de gestion n’est point effectif jusqu’à nos jours. La décentralisation, pareille à un mythe, a difficile à intégrer les esprits pratiques des dirigeants.
Toutefois, certains acteurs de développement viennent à la rescousse de la RDC afin d’impulser le développement en lutant contre la corruption. Pascal Mashimango est receveur comptable à la chefferie de Kaziba. Il partage son expérience de gestion d’une entité territoriale décentralisée, à l’occasion d’un atelier de formation avec l’USAID.
« Jadis, on faisait une comptabilité manuelle au moyen de stylo et cela prenait beaucoup de temps, avec la production des rapports financiers mensuels, on avait les nerfs très tendus à cause de la lourdeur des procédures. Mais avec le logiciel, une fois vous travaillez, vous introduisez les données dans le logiciel, le reste, c’est de choisir seulement l’imputation pour placer la ligne budgétaire et autres. Pour le reste, c’est automatique, produire la fiche de ventilation, c’est automatique. Vous donnez le rapport budgétaire. En tout cas, c’est quelque chose qui nous a beaucoup facilité la tâche. C’est un outil qui permet la traçabilité des recettes et de la transparence parce qu’à tout moment, si l’autorité vous demande un rapport, vous allez le lui reproduire à la minute près. Avec ce logiciel, il y a aussi gain de temps que l’agent comptable enregistre. Ce temps gagné, l’agent peut le consacrer à d’autres activités de l’entité. Ce logiciel aura aussi facilité l’identification des contribuables, il a aussi contribué à l’amélioration des recettes de la chefferie ».
Limiter l’évasion fiscale
L’application de gestion comptable et budgétaire permet de surveiller les mouvements de trésorerie à partir d’un compte de transition dont le solde doit rester toujours nul. Aucun mouvement des fonds d’un compte de trésorerie ne peut rester inaperçu car une alerte automatique sera lancée en cas d’absence de contrepartie dans un autre compte correspondant.
Par ailleurs, ce logiciel est perçu comme un véritable tableau de bord pour l’ETD car il renseigne avec clarté et fiabilité sur les agrégats financiers qui reflètent le niveau d’exécution des projets et d’autres dépenses de l’ETD ; un écart entre les deux indicateurs serait un signe de malversation financière ou de détournement des deniers publics. Les autorités locales apprécient aisément la capacité de leur entité à mobiliser les recettes propres.
Au sujet de la lutte contre l’évasion fiscale, l’application établit un rapport entre les assignations et les réalisations par secteur (service générateur) ; les tendances observées tout au long d’un exercice comptable permettent de réduire le risque des quittances parallèles et des détournements des taxes dont les paisibles citoyens s’acquittent sans en obtenir la moindre preuve de paiement.