Groupes armés et aspects sociétaux du conflit : le numérique dans la diffusion rapide de l’information.

Un dimanche de décembre 2020, alors qu’il se trouvait  à Lulimba, un secteur proche de Fizi, Bernardin Sebahire dont nous avons déjà parlé plus tôt était traumatisé et se trouvait dévasté par ce qu’il venait d’y voir lorsque nous lui avons parlé au téléphone. 

« J’ai vu une femme qui a perdu d’un seul coup trois de ses enfants. Une fille de 12 ans et deux garçons de 8 et 5 ans. J’ai vu leurs corps et la femme se tordre de douleur suite à cette insupportable perte. C’était atroce pour moi. Ces pauvres enfants ont été tués lors d’une attaque d’un groupe armé bembe contre les Babuyu ».

Bernardin a inspiré profondément au bout du fil. Un long silence a suivi. Il se retenait pour ne pas éclater en sanglots, puis il a poursuivi :

« La brave dame n’arrivait pas à terminer une phrase, chaque mot était écrasé par des sanglots. Elle finit par lâcher qu’elle souhaite être la dernière mère à perdre ses enfants, que même les mamans bembe dont la tribu les pourchasse ne méritent pas de perdre leurs mômes ».

Des atrocités pareilles sont devenues ordinaires au Sud-Kivu. Elles n’émeuvent plus personne, ne révoltent plus, elles sont devenues habituelles. La douleur se vit en silence et dans l’impuissance. Des conflits identitaires se sont intensifiés et ont atteint une ampleur inédite. Des communautés sont toutes en guerre, les unes contre les autres.

Les Banyamulenge sont en conflit avec toutes les autres communautés du Sud-Kivu parce qu’ils sont considérés par toutes les autres comme étant des étrangers. Une autre cause de conflit c’est le problème de nationalité. Les Banyamulenge l’ont réclamée pendant des décennies et ils l’ont eue cette nationalité mais cette décision révolte toujours les autres communautés. La nationalité accordée au Banyamulenge est toujours contestée par d’autres communautés qui exigent purement et simplement son retrait. Puis il y a les conflits fonciers qui opposent les éleveurs banyamulenge aux autres communautés agriculteurs. Les bouseux à la recherche de pâturages et les agriculteurs concentrés à la protection de leurs champs s’entretuent à répétition avec une envie de s’éradiquer à jamais. Entre une culture de la vache pour la consommation du lait et celle qui aime la vache dans son assiette, le dialogue est sourd, allant à la violence. Les Banyamulenge réclament aussi un territoire c’est-à-dire une chefferie avec un chef coutumier comme toutes les autres communautés.

Le conflit communautaire oppose aussi les Babuyu et les Babembe dans le territoire de Fizi. Ces deux communautés se déchirent autour du territoire. Les Babuyu viennent de la province du Maniema mais ils ont occupé depuis des années le secteur de Lulimba dans le Fizi au Sud-Kivu. Les Babuyu sont une minorité tribale et sont depuis un temps contestés par les Babembe majoritaires chez eux. Il est difficile de lier ce sentiment territorial à la culture d’identité nationale chez les extrémistes de droite en Europe. Cette peur de l’étranger, proche ou lointain, semblable ou différent, n’est peut-être pas seulement idéologique, elle est aussi existentielle. Mais en RDC, pays plus grand que l’Europe occidental, se battre pour quelques mottes de terre quand des surfaces sont encore vides, cela renvoie aux autres cas d’étude de psychanalyse sociale.

Les communautés barundi et bafulero dans la plaine de la Rusizi se battent pour le territoire. Les Bafulero refusent de dépendre de la chefferie barundi. Ils contestent avec une énergie exterminatrice le chef coutumier barundi appelé mwami  (le « roi » en langue kirundi). Les Bafulero exigent la soumission de la communauté barundi à leur chef coutumier, leur roi et sans cela qu’ils rentrent « chez eux » à côté au Burundi. Nous ne revenons pas sur l’hérésie des traçages des frontières par la colonisation mais à côté du fait que cette plaine appartient à cette communauté barundi, elle a été envahie et occupée par beaucoup d’autres communautés au point de ne réserver que des superficies très modestes à cette communauté barundi. Un jour Bernardin Sebahire a comparé ce conflit à celui de deux chauves qui se battraient pour un peigne.

Entre les communautés bafulero et bavira, le conflit est plus politique. Ils se battent pour des postes dans le gouvernement central et local. C’est ce que les congolais du coin qualifient abusivement de conflit « géopolitique.» Il arrive souvent que les Bafulero occupent le quota politique des Bavira car les Bafulero sont plus nombreux et regardent de haut les Bavira. Ils se considèrent déjà comme plus importants que les Bavira. Un conflit d’ego aussi et quand il est à l’échelle sociale, il devient bien dévastateur.

La communauté banyindu dont ce conflit du Sud-Kivu profite souvent, peut jouer aussi un rôle de médiation locale, il suffit de bien penser ce rôle, nous en dirons plus après dans les solutions. Les Banyindu donc sont une minorité écartelée entre le territoire de Mwenga, Fizi, Uvira et Walungu. Cette communauté est souvent sollicitée par les différentes communautés pour le positionnement.

Nous n’avons pas cité exhaustivement tous les conflits dans le Sud-Kivu. Par exemple nous n’avons pas parlé du territoire de Shabunda où le groupe armé, un des plus importants, Raïs Mutomboki règne en maître. Mais comme on peut le constater ces conflits sont nombreux mais encore plus similaires les uns des autres dans leur fond. C’est dire qu’ils ne sont pas plus compliqués à résoudre s’ils sont sur l’agenda des problèmes à régler. C’est également sur ces conflits que viennent se greffer les mouvements rebelles étrangers par des alliances pour le soutien. Des États aussi dans leur chasse aux rebelles, parrainent des communautés en conflit contre d’autres.

Dans pas longtemps quand on n’avait pas encore des téléphones portables, un événement pareil prenait du temps pour atteindre les rédactions de journaux, les bureaux des dépêches d’agence ou des radios et des stations télévision. Aujourd’hui la nouvelle se répand juste la minute après l’action. Les radio ou les agences de presse peuvent ignorer la nouvelles et ce qui arrive le plus souvent mais elle sera bien arrivée sur leur bureau de manière instantanée. Fini donc les pigeons voyageurs ou les télégrammes qui pouvaient prendre des mois. Mais la question que l’on se pose est : l’avancée du numérique a-t-elle la paix dans le monde ? Pas encore pour les pauvres.   

A.S.